Publié le 6 août 2019 Mis à jour le 27 août 2019

2016 sera pour le Campus Condorcet une année décisive, marquée à Aubervilliers par la signature du contrat de partenariat public-privé pour la réalisation d’espaces de recherche mutualisés dédiés aux unités de recherche des 10 établissements fondateurs, et à Paris Porte de la Chapelle par le lancement du concours de maîtrise d’œuvre. Pour cette rentrée, Jean-Claude Schmitt, historien, directeur d'études à l'EHESS, et président du conseil scientifique du campus, rappelle l’ambition du Campus Condorcet, « formidable pari sur l’avenir », en ces temps troublés où « la réflexion fondamentale des sciences humaines et sociales n’en est que plus nécessaire pour tenter de répondre aux défis sans cesse renouvelés du présent ».

Quel est le projet scientifique du Campus Condorcet ?

Quel est le projet scientifique du Campus Condorcet ?

Jean-Claude Schmitt, président du conseil scientifique du Campus Condorcet

Le Campus Condorcet est un formidable pari sur l’avenir que des scientifiques appartenant à dix établissements parisiens et franciliens d’enseignement supérieur et de recherche, ont imaginé à partir de 2009 en réponse au souci légitime des responsables politiques nationaux et régionaux de placer le savoir et la formation scientifiques de notre pays à la hauteur des défis du XXIe siècle. L’ambition est considérable, elle est tout à la fois matérielle, humaine et intellectuelle : elle consiste à réunir en un seul lieu quelque 18 000 chercheurs, enseignants-chercheurs, doctorants, post-doctorants, étudiants de master et personnels administratifs ; à leur offrir les meilleures conditions matérielles de travail et les instruments de documentation et de recherche - en constante évolution - les plus performants ; à leur donner toute facilité pour qu’ils mettent en commun leur puissance d’innovation et leurs projets de recherche. Partant des spécificités historiques et disciplinaires des établissements fondateurs, huit axes scientifiques larges ont été privilégiés, en visant l’exploration de leurs interfaces au moins autant que leur approfondissement propre : l’histoire des sociétés et l’intelligence du contemporain ; les aires culturelles dans la longue durée ; l’études du religieux ; l’érudition, la tradition textuelle et l’histoire des textes ; les arts et les littératures, les images, la création et la communication ; les espaces, les territoires, l’environnement ; les populations et la santé ; l’économie (les migrations, la famille, l’économie et la politique internationale, la santé et l’économie, la culture et l’économie). D’ores et déjà, ces axes servent de cadre à une vingtaine de projets annuels de recherche - les Ateliers du Campus Condorcet et les Journées de doctorants -, soutenus financièrement par le campus à la condition qu’ils réunissent des équipes de deux au moins des établissements partenaires : ces projets préfigurent ainsi les coopérations que le campus permettra de nouer à une plus vaste échelle à partir de 2019.

Comment le campus accompagne-t-il les mutations des sciences humaines et sociales ?

Le campus mise en premier lieu sur la transversalité des problématiques - l’interdisciplinarité, la mise en commun des interrogations, l’échange des méthodes entre les diverses sciences de l’homme et de la société -, car il serait vain sans cela d’espérer un véritable renouvellement des perspective et une avancée décisive de la recherche. Tout aussi cruciale est l’ouverture des sicences humaines et sociales (SHS) aux autres sciences – mathématiques, sciences du vivant, neurosciences, etc. – qui elles-mêmes se tournent de plus en plus vers les SHS parce qu’elles éprouvent semblablement le besoin d’enrichir leur questionnaire. L’axe scientifique « Populations, santé » peut servir d’exemple, non exclusif, de telles interactions. La croissance vertigineuse des sciences de la communication, bien commun et espace de rencontre de toutes les sciences aujourd’hui, apporte chaque jour d’avantage la démonstration de cette nécessaire interpénétration : il n’est pas étonnant qu’elles soient fortement présentes dans l’un des axes du campus et qu’elles innervent surtout la plupart des autres. La construction au cœur du campus du Grand équipement documentaire répond au souhait de mobiliser et de faire évoluer les nouvelles technologies numériques au service des chercheurs et au plus près de leurs demandes et de leurs besoins. Parmi les signes forts de cette préoccupation, citons aussi l’hébergement sur le campus de l’unité mixte de services Huma-Num, en coopération avec le CNRS et l’Université d’Aix-Marseille. Ou encore l’Equipex Biblissima, porté jusqu’en 2019 par le campus : il aura démontré la nécessité de l’interopérabilité des systèmes de données informatiques, bien au-delà de son champ précis d’application - les manuscrits médiévaux - , et des limites institutionnelles du campus, auquel se sont liés pour l’occasion de nombreux partenaires nationaux (comme la BnF) et internationaux. Mentionnons enfin l’Hôtel à projets, qui sera un équipement mutualisé du campus de première importance : il hébergera pour des périodes variables des équipes de recherche pluridisciplinaires désireuses de développer des projets scientifiques ou des instruments innovants, notamment en relation avec les technologies de l’information.

Pourquoi est-il particulièrement important aujourd’hui d’investir dans les sciences humaines et sociales ?

Jamais peut-être l’évolution accélérée de nos sociétés n’aura comme aujourd’hui défié l’intelligence du monde, entravé la compréhension du temps présent, rendu aventureuse la prévision, même à court terme, du devenir. Se distinguant de la chronique journalistique de l’actualité comme de la logique de la prise de décision et de l’action politique, la réflexion fondamentale des SHS n’en est que plus nécessaire pour tenter de répondre aux défis sans cesse renouvelés du présent : la globalisation des échanges de toutes sortes et les déséquilibres croissants de l’ordre planétaire, les mutations climatiques et leurs conséquences démographiques, les flux sans précédents de migrants chassés par les guerres civiles, les inégalités économiques et les catastrophes climatiques, l’exacerbation du fanatisme religieux (quand le « déclin du religieux » semblait encore de mise il y a peu), l’extension insidieuse de la violence terroriste - version sanglante de la mondialisation -, et par réaction la menace rampante pesant sur les libertés individuelles et les valeurs politiques et culturelles d’une Europe en mal d’identité… On pourrait multiplier à l’infini les exemples, qui montrent l’urgence d’une compréhension rationnelle de tels phénomènes, que seules les SHS sont en mesure de proposer en croisant les instruments d’analyse, en combinant les procédures interprétatives de l’ensemble des disciplines et des savoirs, en inscrivant dans la longue durée historique la capacité d’observation des sociétés en évolution, en élargissant le regard pour tenir compte de la pluralité des points de vue et se déprendre d’un monocentrisme occidental aux funestes conséquences. La tâche est non seulement intellectuelle et scientifique, mais éthique et citoyenne, car l’effort de comprendre le monde ne peut être l’apanage des seuls savants : le Campus Condorcet en donne d’ores et déjà l’exemple par ses cycles annuels de conférences publiques ; le partage de l’intelligence, à tous les niveaux et par tous les canaux de l’éducation, de la formation et de l’information, est une des conditions de la cohésion sociale, et plus encore quand celle-ci est en danger.