Romain Dutter : "Toutes les rencontres, que j’ai faites à travers cette résidence, enrichissent mon écriture"
27 avril 2021
modifié le 30 avril 2021
Publié le 27 avril 2021
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Mis à jour le 30 avril 2021
Depuis octobre 2020, Romain Dutter, auteur-scénariste de bandes dessinées, effectue une résidence d’auteur à l’Institut des Hautes Études en Amérique latine (IHEAL) et au Campus Condorcet, financée par le Conseil régional d’Île-de-France. Arrivé presqu’au terme de cette année, il revient sur son expérience, les ateliers et les rencontres qu’il a menés avec les étudiants du Campus et avec les acteurs du territoire.
Peux-tu nous expliquer en quoi consiste cette résidence d’auteur ?
La résidence consiste à me permettre de travailler sur mon 4e projet de roman graphique. Je suis scénariste de bande dessinée et je collabore avec des illustrateurs. Actuellement, je travaille sur un projet sur l’Amérique latine, et plus précisément sur la « relation passionnelle » que j’entretiens avec ce continent depuis plus de 20 ans. Je l’ai découvert quand j’étais petit. J’y suis allé une première fois en 2000, et depuis j’y suis retourné à peu près chaque année pour y travailler, voyager, voir des amis, réaliser un doc, faire de la photo, m’y enrichir…
En contrepartie, j’interviens sur le territoire de la Seine-Saint-Denis, puisque la résidence est montée avec l’IHEAL, qui est nouvellement installée sur le Campus Condorcet à Aubervilliers. Je propose depuis début octobre des ateliers de bande dessinée à des groupes d’étudiants de l’IHEAL, mais aussi au sein de structures du département : le collège Makeba, qui est juste à côté de l’Institut ; le Centre social Roser d’Aubervilliers ; la Maison de quartier de la Plaine et la Médiathèque Don Quichotte à La Plaine Saint-Denis.
Pourquoi avoir choisi l’IHEAL et le Campus Condorcet ?
Avant d’être auteur-scénariste, j’étais coordinateur culturel au sein du Centre pénitentiaire de Fresnes, pendant 10 ans. J’y mettais en place toute la programmation culturelle : à la fois la partie ateliers, concerts, pièces de théâtre, etc. Dans ce cadre, j’avais sollicité des financements de la Région Île-de-France pour un auteur de bande dessinée et deux romanciers, afin de leur permettre d’intervenir au sein du centre pénitentiaire, de mener des ateliers et d’enrichir leur écriture, qui portait sur la question de l’enfermement, de la prison, de la culture derrière les barreaux.
J’ai arrêté de travailler à Fresnes en 2018, et depuis j’essaie d’embrasser cette modeste carrière d’auteur de bande dessinée. Et en cherchant un peu les résidences qui existaient, les possibilités d’intervenir en Île-de-France, je me suis rappelé de cette résidence de la Région et j’ai postulé. J’ai eu la très bonne surprise de voir ma candidature acceptée par la Région en juillet 2020.
Le but de cette résidence est de travailler avec un partenaire institutionnel. Cela aurait pu être un collège, un lycée, une médiathèque. Cela pouvait aussi être une université. Vu que j’étais étudiant à l’IHEAL en 2005-2006, et que le cœur même de cet institut est de travailler sur l’Amérique latine, le sujet de mon projet, il m’a semblé que c’était le partenaire le plus pertinent pour ma résidence. Cela m’a permis à la fois de rayonner sur le département et de m’enrichir à travers la rencontre avec des étudiants, des enseignants, des chercheurs spécialistes de cette région.
Ta rencontre avec le quotidien et le travail universitaire de chercheurs en sciences humaines et sociales, spécialistes de l'Amérique Latine, a-t-elle nourri ton " histoire d'amour" pour cette région?
Effectivement. Surtout mes rencontres avec les étudiants. En effet, du fait de la pandémie, ma venue et donc mes interactions avec les chercheurs ont été plus compliquées. Mais j’ai pu proposer deux ateliers de bande dessinée avec des masterants et des doctorants. Ces rencontres m’ont apporté énormément de réflexion sur ce que je suis en train d’écrire sur l’Amérique latine : des critiques positives et négatives, des points de vue différents… Tout ça va me permettre de raconter ce que je souhaite raconter de manière plus pertinente.
Au-delà du travail avec l’Institut, ce sont aussi toutes les rencontres que j’ai pu faire avec différents publics qui m’enrichissent. Par exemple, je suis intervenu de novembre à janvier au sein du collège Makeba, auprès de deux classes de 4e, sur des cours d’espagnol. L’objectif était de sensibiliser ces collégiens à l’Amérique latine, et de les faire travailler sur des planches de bande dessinée. Ces ateliers m’ont énormément fait réfléchir à ma manière de vulgariser l’Amérique latine pour la raconter à un public qui ne la connaît pas. Au cours des ateliers, les collégiens me disaient : "mais Monsieur j’ai jamais entendu parler de Rio ou du Salvador… Vous nous parlez de personnalités latinos-américaines, mais on ne les connaît pas". Donc j’ai décidé d’intégrer les collégiens à mon scénario et de leur raconter l’Amérique latine à eux. Finalement ce que j’ai pu faire au collège, je vais faire "la même chose", mais de manière un peu plus littéraire au sein de la bande dessinée.
Toutes ces rencontres, que j’ai faites à travers cette résidence, enrichissent mon écriture.
Ton projet prévoyait un certain nombre d'ateliers avec divers publics. Malgré cette année perturbée par la pandémie, as-tu pu mener ton projet tel que tu l’avais prévu?
J’ai eu énormément de chance, car j’ai pu maintenir la grande majorité des ateliers qui étaient prévus avec les différentes structures. Par exemple, avec le Centre social Roser, on a pu organiser les activités liées à la parentalité, avec des ateliers à destination des enfants et des parents, en petit groupe. Au sein de l’Institut, on a pu travailler avec l’association Aves de Paso, qui lutte contre l’isolement étudiant et ainsi leur proposer une activité culturelle.Initialement, il était prévu d’autres types d’ateliers, comme des rencontres avec d’autres auteurs. Mais cela n’était pas forcément pertinent du point de vue des structures, et par ailleurs, cela était compliqué au vu de la situation sanitaire.
Comment as-tu mené ces ateliers ?
Mettre en place des ateliers BD et faire réaliser des planches par les participants est quelque chose de beaucoup plus compliqué que je ne le pensais. Pour moi, la BD était un médium relativement accessible, et je me suis rendu compte que cela pouvait être compliqué, notamment pour des personnes qui n’ont pas eu la chance d’en lire quand ils étaient petits, de comprendre les codes, les spécificités, le type d’écriture et en plus de dessiner… et ça, ça peut être compliqué, pour moi aussi qui ne suis pas dessinateur.
Du coup j’ai axé mes interventions sur l’Amérique latine, et suis parti des savoirs que chacun peut en avoir. Plutôt que de proposer, voire d’imposer ma vision, nous avons discuté de l’Amérique latine : de sa représentation en France, en Europe, mais aussi de la question des clichés ou des stéréotypes. Et à partir de ces réflexions, les participants ont réalisé leurs propres textes et leurs propres dessins.
Ce qui a été le plus compliqué, c’est la diversité des publics et la diversité malheureusement parfois de capital culturel et social. C’est très différent d’intervenir à l’IHEAL - où les étudiants ont déjà suivi un parcours universitaire et sont déjà partis en Amérique latine -, et d’intervenir par exemple auprès d’apprenants de français au sein du Centre social Roser ou des collégiens qui sont en train d’apprendre l’Espagnol, et qui ont une vision relativement clichée de l’Amérique latine. À la médiathèque Don Quichotte, j’ai travaillé avec des pré-ados de 10 ou 12 ans, qui, à partir de la question « Qu’est-ce que vous savez de l’Amérique latine », sont partis sur des thématiques très fictionnelles, sur la fête des morts, par exemple. Alors qu’au sein du collège, ils étaient restés sur quelque chose de plus documentaire sur le fleuve Amazone ou la cordillère des Andes.
Que retiens-tu de ta rencontre avec les acteurs et les habitants du territoire de la Seine-Saint-Denis ?
Pour moi, cela a été vraiment la découverte d’un territoire. Je connaissais la Seine-Saint-Denis, mais d’une manière très personnelle, en soirée, lors de concerts. J’ai vraiment appris à la découvrir cette année et à l’aimer, en rencontrant les structures et leurs publics.Je sors de cette résidence avec la même conviction acquise lors de mon expérience au Centre pénitentiaire de Fresnes : la détermination à vouloir intervenir avec des publics. On peut proposer des choses qui sur le papier peuvent paraître très éloignées des préoccupations principales des participants. On peut se demander par exemple pourquoi parler à des enfants du 93 de l’Amérique latine, ce qui n’a aucun lien avec leur réalité. Et c’est vrai que parfois, ils ont manifesté un manque d’intérêt. Mais je sais qu’au cours des douze ateliers, ils ont développé un intérêt pour l’objet BD, mais aussi pour l’Amérique latine. Ils sont allés chercher des informations sur internet, écouter des choses. Et qui sait, peut-être cela leur donnera envie d’y aller, et ils développeront aussi une relation d’amour "passionnelle", comme moi j’ai pu la développer, avec ce continent, ou plus largement avec le voyage et avec l’autre.
En savoir plus sur la résidence de Romain Dutter
A l'agenda de la résidence
- Amérique latine, Des murs et des luttes17 mai 2021Du 18 mai au 28 juin, dans le hall du bâtiment de recherche sud, Romain Dutter vous propose une exposition photographique qui s'intéresse aux graffitis politiques en Amérique latine. Cette exposition s’inscrit dans le cadre d'une résidence d’auteur réalisée au sein de l’Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine (IHEAL), en partenariat avec le Campus Condorcet et financée par la région Ile de France.