Publié le 11 février 2020 Mis à jour le 13 février 2020

Un mois après sa prise de fonction, Jean-François Balaudé, président de l’établissement public Campus Condorcet (EPCC), expose ses priorités pour faire du Campus Condorcet une réussite, avec comme priorités le développement de l’établissement, le financement de la "phase 2", l’insertion dans le territoire, et la coopération scientifique.

Président de l’Université Paris Nanterre, vous avez pris les rênes de l’établissement public Campus Condorcet en décembre dernier. Quelles vont être vos priorités lors de vos premiers mois de prise de fonction?

Les priorités sont de plusieurs ordres. Scientifiques tout d’abord. Dès lors que le Campus Condorcet a commencé à fonctionner, que les bâtiments ont été livrés et investis, que des recherches commencent à se conduire et les enseignements à se délivrer, il nous faut animer cette vie scientifique, et mettre en place tous les éléments d’accompagnement et de coordination. Nous sommes passés de la phase de projection à la première phase de vie effective du Campus. Il s’impose à nous, l’équipe de l’EPCC, d’accompagner ce déploiement d’activités. 
 

L’obtention du financement de la "phase 2" est bien entendu dans ma feuille de route immédiate.

Pour réussir cela, il y a une autre priorité majeure : le renforcement des équipes de l’EPCC, de ses diverses directions, mais aussi du Grand équipement documentaire (GED), pour que ce dernier puisse fonctionner de façon optimale, lorsque le bâtiment en chantier sera ouvert. Il faut donc réaliser les recrutements pour lesquels nous sommes déjà dotés, mais aussi obtenir des postes supplémentaires et poursuivre les transferts de postes des établissements membres vers le GED. Un établissement porteur d’une ambition telle que le Campus Condorcet doit continuer à être accompagné, notamment par le ministère. Si nous sommes une priorité - ce que nous croyons -, cela doit se traduire concrètement. 

Cette priorité comporte un corollaire immédiat : la poursuite du programme immobilier. L’obtention du financement de la "phase 2" est bien entendu dans ma feuille de route immédiate. Nous avons passé le "milieu du gué", avec le financement du bâtiment de l’EPHE. Mais tout le reste du programme importe et détermine le plein succès du Campus Condorcet, car il permet le déploiement des équipes qui ne peuvent s’y installer aujourd’hui : l’ensemble de l’EHESS, des laboratoires de Paris 1, du CNRS, mais aussi de Paris Nanterre. Cela va passer par le Contrat de plan Etat-Région (CPER) immobilier. Jean-Marc Bonnisseau, mon prédécesseur, avait porté une demande de financement. Je lui emboîte le pas. Mais l’enveloppe budgétaire, qui sera obtenue dans le cadre du CPER, ne sera pas suffisante. Il me faudra donc trouver d’autres financements. 

Une autre de mes priorités sera d’animer une vie de campus. Il y va du vivre-ensemble, de tout ce qui fait qu’une communauté existe, qui ne se limite pas seulement à des relations de travail. Ici, sur le Campus Condorcet, cela prend une dimension particulière, car il y a des équipes, qui relèvent d’autorités différentes, mais qui coexistent. Nous devons donc mettre en place un cadre qui permette de faire communauté. Tous participent d’un même projet finalement. Il est donc important que des liens se nouent par le biais d’activités culturelles, de loisir, etc. Cela ne peut que profiter au bien-être général et bénéficier à l’activité globale du Campus.

Le Campus Condorcet est situé à Aubervilliers et à Paris, porte de La Chapelle, deux territoires en forte mutation. Comment peut-il au mieux contribuer à la transformation du Nord-Est Parisien?

On ne réussira la vie de Campus que si l’on s’inscrit dans notre environnement. C’est un enjeu que tout le monde se sente appartenir au Campus, mais cela sera d’autant plus le cas que l’on ne restera pas dans un entre-soi. L’inscription dans le territoire représente un enjeu très fort et structurant. La question qui se pose à nous est : comment peut-on créer du lien ? Cela peut passer par des initiatives personnelles et nous les soutiendrons.

L’EPCC a dans sa feuille de route le développement de relations de partenariat avec les collectivités, les acteurs économiques et sociaux, les associations. Cela relève de sa responsabilité sociale. Comment développer des activités en relation avec les autres acteurs du territoire, pour en devenir nous-mêmes un, incontournable et essentiel ? Comment ne pas être simplement un lieu de recherche et d’enseignement posé là, au milieu de la ville, mais être un lieu ouvert, capable de diffuser du savoir, des pratiques, et à l’inverse d’en accueillir ? 

L’EPCC peut être un médiateur et favoriser la multiplication des partenariats. 
Cela passe par des interventions à l’extérieur du Campus, comme le permettent déjà très bien les Rendez-vous Campus Condorcet, mais aussi par l’accueil en son sein des acteurs du territoire, par un travail avec l’éducation nationale, les lycées et collèges, les associations... Nous avons par exemple l’appel à candidatures pour l’occupation de l’Espace associatif et culturel, ouvert aux associations professionnelles, étudiantes mais aussi aux associations du territoire. Cette dimension de responsabilité sociale peut aussi prendre des formes très imaginatives, très inventives, à l’exemple de l’appel à projets communs avec la MSH Paris-Nord, qui favorise des projets où peuvent intervenir des équipes de recherche et des acteurs du territoire. Ces interactions peuvent permettre de développer des formes d’externalités positives très fécondes.

Chaque établissement conduira à sa guise des passerelles entre les formations et les recherches développées ici et le territoire. En fonction de leur volonté, des partenariats peuvent s’établir avec les collectivités et les acteurs économiques, avec par exemple l’accueil des thèses de CIFRE (Conventions Industrielles de Formation par la Recherche) ou des projets de recherche-action, qui sont aussi intéressantes tant du point de vue de la recherche que des partenaires qui y participent ou en bénéficient. Et de façon générale, l’EPCC peut être un médiateur et favoriser la multiplication des partenariats. 

En tant qu’établissements publics, il nous revient de penser aussi cette forme de diffusion de savoir, de transformation, de soutien, d’aide au progrès social. Sans parler d’un potentiel que les sciences humaines savent encore peu exploiter, qui est celui du transfert de la valorisation et de l’innovation. Comment des recherches peuvent-elles participer à des formes de transfert en vue de produire de l’innovation ? Et sur un territoire tel que Plaine Commune et la Seine-Saint-Denis, il est prometteur de mobiliser les acteurs sur ces sujets-là. Ce sera aussi le cas à Paris, porte de la Chapelle, où le Campus va participer de la transformation du quartier. L’enjeu y est extrêmement fort et la Maire de Paris, lors de ses vœux, n’a pas manqué de mettre en avant le rôle que le Campus peut y tenir.  
 

Le site d’Aubervilliers a ouvert ses portes en septembre dernier. Que faut-il pour que le Campus Condorcet ne soit pas uniquement un projet immobilier, et qu’il participe de la "transformation des sciences humaines et sociales", comme énoncé dans son projet stratégique "Condorcet 2025"?

Le Campus a été fort bien pensé. Il a été capable de rassembler des équipes issues de 11 établissements sur un campus d’un seul tenant, avec des bâtiments pour la recherche, des bâtiments de vie, un Centre de colloques, un Hôtel à projets et un équipement majeur qui est le Grand équipement documentaire, avec les caractéristiques qui seront les siennes en termes de places assises, d’ouverture en continu… 

Il faut faire confiance aux équipes. La transformation de la recherche dépend d’elles.

D’emblée, nous avons créé les conditions d’une transformation de la pratique de la recherche. Le fait même de réunir les équipes, ou du moins de les faire cohabiter, crée les conditions pour que les échanges et les rencontres aient lieu. Ce n’est pas si fréquent. Dans nos disciplines, il est rare qu’il y ait des espaces communs, que les conditions de la proximité et d’échange soient données. C’est le cas au Campus Condorcet, et à grande échelle. 

Il faut donc faire confiance aux équipes. La transformation de la recherche dépend d’elles. 

Mais cela ne s’arrête pas là pour l’EPCC. Ce serait très confortable de dire : maintenant que tous les espaces sont ouverts, notre mission est accomplie. Se pose la question de savoir comment l’EPCC peut, dans le dialogue avec les établissements membres, faire des propositions, dessiner des lignes de coopération entre les équipes, tout en étant respectueux du travail des uns et des autres. 

Le projet stratégique Condorcet 2025 était une sorte de manifeste des présidences, où ces dernières réaffirmaient les grands principes qui ont été à la genèse du Campus. Mais il est important de rappeler que ce document a été rédigé dans l’urgence de justifier les demandes de financement de la phase 2. Nous ne construisons pas de l’immobilier pour de l’immobilier, mais de l’immobilier au service d’un projet. 

Aujourd’hui, nous devons achever de transformer ce document en un projet scientifique. Cela suppose de le remettre sur la table, de le partager avec tous. C’est-à-dire dans les instances de l’EPCC, dans les instances des établissements membres, et avec les équipes qui sont sur le Campus, de même que celles qui ont vocation à le rejoindre. Nous avons besoin de réfléchir, ensemble, au-delà de grandes déclarations et de lignes dessinées dans ce document. Il va donc falloir programmer ce travail au cours de l’année 2020. 

Par exemple, que signifie « devenir un pôle de référence dans les humanités numériques » ? Beaucoup d’établissements peuvent prétendre à cela. Qu’est-ce qui fait que, en particulier à Condorcet, ce serait ou ce sera le cas ? Qu’est-ce qui fait que le Campus Condorcet, avec toutes les équipes présentes, serait la référence sur tel ou tel champ scientifique ? 

L’enjeu important [...] est de savoir de quelle manière nous sommes capables de travailler avec des forces scientifiques extérieures au Campus.
Nous devons mener une réflexion aussi sur ce qui est attendu de nous, en termes d’expertise sur les politiques publiques, de réponses à des enjeux de sociétés. Lorsqu’aujourd’hui, on reconnaît au niveau national ou européen, un défi de société tel que la transition écologique ou le développement durable comme un défi majeur qui s’impose à nous, il n’est pas illégitime que l’Etat, finançant la recherche publique, attende des propositions fortes des laboratoires de recherche sur ce sujet. Donc est-ce que le Campus Condorcet est dans un positionnement fort sur un sujet comme celui-ci, ou un autre, de même type ? Dit-on que c’est le cas ? Comment le dit-on ? Avec qui le fait-on ? Avec nos forces, avec des forces extérieures au Campus ? 

L’enjeu important, très clairement affirmé dans le document stratégique, est de savoir de quelle manière nous sommes capables de travailler avec des forces scientifiques extérieures au Campus, qu’elles soient publiques ou privées, lorsqu’il s’agit de répondre à des questions complexes, que les sciences de la vie par exemple ne peuvent pas traiter toutes seules, que les sciences humaines et sociales ne peuvent pas traiter toutes seules, et donc qu’elles ont intérêt à traiter ensemble. Ce sujet n’est pas si simple. Il fait partie des défis que nous avons à surmonter, car il y a un vrai enjeu à produire ces effets d’interdisciplinarité. Y parvenir contribuera à fonder les nouvelles sciences humaines et sociales du XXIe siècle. 

Tout en respectant l’autonomie de chacun des établissements membres, le Campus Condorcet doit avoir un rôle de veille sur ces questions, sur les appels à projets, sur les attentes qui s’expriment. Et il se doit de les répercuter auprès des établissements et de discuter avec eux de la façon d’encourager et d’initier des réponses, notamment dans le cadre des appels à projets extérieurs. Cela pourrait prendre la forme d’appel à projets incitatifs, afin d’amorcer au sein du Campus des initiatives de recherche conjointe de ce genre. Cette dimension d’incitation, d’exploration est importante. Les équipes en ont besoin, nous en avons besoin, mais il faut également s’assurer que cela ne va pas être en redondance avec ce que font déjà les établissements membres ou leur regroupement. 

Mon rôle, maintenant que le campus est ouvert, est de donner une importance plus forte à la coopération scientifique.
Sur ces sujets, l’exercice s’avère délicat, car ce n’est pas à trois-quatre interlocuteurs que nous devons arriver à dialoguer, mais à douze. Il faut que les tous les acteurs du Campus prennent l’habitude d’échanger. L’EPCC a un rôle de coordinateur, d’incitateur au travail conjoint, mais ce dernier se fera à proportion de ce que les uns et les autres veulent faire. C’est pourquoi il faut souhaiter que l’EPCC soit en dialogue avec tous les acteurs : les représentants des membres à travers les instances, et avec les équipes de recherche, sans court-circuiter les établissements, qui eux-mêmes sont en dialogue avec leurs équipes. 

C’est avec l’intention de marcher ensemble que nous allons apprendre à marcher ensemble. Mon rôle, maintenant que le campus est ouvert, est de donner une importance plus forte à la coopération scientifique. Cela ne se décrète pas et c’est une volonté partagée qui en permettra la réalisation. Cela passera donc par une reprise du projet stratégique, une remise à plat de ce texte qui a vocation à s’amender, se modifier, s’enrichir et changer de nature en soi.  

Le Campus est une sorte de ruche du savoir. Dans une ruche, il y a des milliers d’abeilles, qui s’affairent, industrieuses, de toutes parts.  Ce que nous pouvons souhaiter, c’est que notre ruche, avec la qualité des espaces et des équipements qui est la sienne, produise beaucoup de miel. Ce sera au bénéfice de tous les acteurs réunis, mais aussi de la société, dont les attentes sont grandes, assurément.