Ce colloque international est organisé par les laboratoires Chine, Corée, Japon (CCJ, EHESS), Héritages (Université de Cergy-CNRS-Ministère de la culture) et le Pôle de recherche pour l'organisation et la diffusion de l'information géographique (PRODIG, CNRS-Université Paris 1 Panthéon Sorbonne-Université Paris Cité-Sorbonne Universié-AgroParisTech-IRD).
du 21 novembre 2024 au 22 novembre 2024
vendredi 22 novembre : accueil à 9h30 puis panels en sessions plénières jusqu'à 16h15 (déjeuner entre 12h et 13h30)
Humathèque Condorcet
Introduction
Cette conférence internationale intitulée "Arènes patrimoniales chinoises: les territoires à l’épreuve des pratiques patrimoniales dans les mondes sinophones contemporains" étudie les processus patrimoniaux sous l'angle des arènes, c'est-à-dire des lieux de confrontation d’acteurs autour d’enjeux communs définis, discutés et remis en cause dans leurs discours et pratiques. Il s’agit de saisir les dynamiques de patrimonialisation en lien avec la production de l’espace et les effets de pouvoir qui en sont issus à différentes échelles, permettant de mieux saisir les enjeux politiques de la mise en patrimoine dans les contextes chinois et sinophones actuels.
Mise en contexte
Avant de devenir partie intégrante du discours sur le patrimoine dans le monde entier, l’élaboration du concept de patrimoine s’est effectuée, en Europe, sur le temps long, et sa définition a donné lieu à de nombreux débats (Adell 2011 ; Bortolotto 2011 ; Csergo 2020). Chronologiquement, le champ du patrimoine a d’abord recouvert le patrimoine matériel puis, dans un second temps, il s’est élargi au patrimoine immatériel, qui comprend le patrimoine naturel et le patrimoine vivant.
En Chine, dès l’époque impériale mais en particulier sous la dynastie des Qing, des lettrés se sont attachés à conserver des éléments du patrimoine (Zhang 2003 ; Dutournier et Padovani 2021, 2023). Le régime républicain a ensuite promulgué une loi pour la protection du patrimoine national en 1930 (Huang 2012). À partir de 1949, le régime maoïste, pour sa part, s’est caractérisé par des positions ambivalentes en lien avec ses efforts pour asseoir sa légitimité révolutionnaire. Il a en effet établi des listes de biens à protéger afin d’établir un patrimoine « rouge » tout en soutenant les destructions massives de symboles des « quatre vieilleries » (idées, culture, coutumes, habitudes). La redéfinition maoïste de la culture passait par la conservation de certains éléments du passé choisis selon leur signification et leur importance pour le projet communiste. La première loi sur la protection des reliques culturelles (wenwu) date de 1982. Depuis la signature de la Convention du patrimoine mondial en 1972, ratifiée par la Chine en 1985, suivie de celle sur le patrimoine culturel immatériel en 2001, le boom de la patrimonialisation et l’enjeu de l’inscription sur les listes du patrimoine mondial de l’UNESCO se sont progressivement inscrits comme une stratégie importante de développement du patrimoine bâti et immatériel en Chine.
Des milliers de sites sont inscrits à différents niveaux administratifs (national-provincial-unité locale) avant de pouvoir apparaître pour certains au niveau international sur les listes de l’UNESCO. Ces dispositifs de patrimonialisation à différentes échelles sont à l’œuvre dans un contexte de développement rapide des secteurs de l’immobilier et du tourisme depuis les réformes économiques vers l’économie de marché. Plusieurs décennies après les premiers programmes de patrimonialisation, nous nous sommes demandées comment les dynamiques de mise en patrimoine contribuaient à la production de l’espace.
Cadre théorique et problématique de la conférence
Cette conférence s’intéressera aux dynamiques des arènes patrimoniales en Chine, en mettant en avant les enjeux micro-politiques de la patrimonialisation, à l’épreuve de l’habiter et du travail de différents acteurs (aménageurs, architectes, transmetteurs), et en questionnant la manière dont les pratiques patrimoniales et habitantes redéfinissent le champ de la patrimonialisation.
Ce projet de conférence part du constat que les dynamiques de patrimonialisation en Chine constituent un outil de pouvoir et produisent une transformation en profondeur des paysages (Bando 2022 ; Kua et Liu 2016 ; Lenzerini 2011, Lu 2016 ; Maags 2018 ; Noyes 2015). Comme dans d’autres pays, le processus de patrimonialisation s’est accompagné de choix à la suite desquels certains éléments sont tombés dans l’oubli ou la destruction. Les décisions prises par différents niveaux administratifs mettant en œuvre des politiques de patrimonialisation ont généré des usages et des réactions variés allant jusqu’aux conflits et dynamiques de résistance plus ou moins intenses (Smith 2006). Certains acteurs comme des experts, des universitaires ou des résidents, se sont élevés contre ces décisions (Thireau 2020).
Quelles arènes patrimoniales, qu’il s’agisse de patrimoine matériel, historique, industriel ou immatériel, se constituent à différentes échelles ? Par arène patrimoniale, nous entendons « un lieu de confrontations concrètes d’acteurs sociaux en interaction autour d’enjeux communs » (Olivier de Sardan 1995 : 179, cité dans Givre 2012). La notion d’arène, empruntée à l’anthropologie politique de l’école de Manchester, est aisément transposable aux processus de patrimonialisation en ce qu’elle place la focale ethnographique sur les jeux, conflits, négociations coordinations entre acteurs porteurs de projets à différentes échelles, et laisse une grande place aux (re)négociations de position. Cependant, il s’agit de rendre compte non seulement des intérêts propres et multiples suivis par les divers acteurs, mais aussi des efforts de ceux-ci pour définir, participer et agir « en commun » (Givre 2012 ; Thireau 2020 ; Tornatore 2020 ; Cominelli, Cornu et Tornatore 2021 ; Davallon 2022).
Il s’agira de saisir des contextes en transformation qui animent, de manière plus ou moins visible, ces arènes patrimoniales chinoises, au cœur de la patrimonialisation se trouve une dynamique scalaire qui a donné lieu à la notion de « paysages patrimoniaux » (heritage scapes) à la suite des autres paysages/scapes proposés par l’anthropologue Arjun Appadurai (Di Giovine 2008 ; Gillot, Maffi et Trémon 2013). Dans tous les cas, les habitants de sites patrimonialisés confèrent souvent à ceux-ci d’autres significations, et en font d’autres usages, que ceux qui sont prévus par les experts ou décideurs de la patrimonialisation. Plus souvent encore que des résistances et des mouvements d’opposition, comme le notent Bondaz, Isnart et Leblon (2012 : 14)
« l’ethnographie des patrimonialisations, ce qui apparaît à chaque reprise […], ce sont certes les résistances et les mouvements d’opposition qui émergent et les acteurs qui donnent de la voix, mais ce sont surtout les bricolages, les réemplois et les contournements des conditions sociales, économiques et culturelles que les patrimonialisations induisent ». Ceci est sans doute particulièrement vrai en Chine, bien que les citoyens, les experts et même les cadres locaux, n’hésitent pas à se mobiliser pour la sauvegarde de sites qui leur tiennent à cœur (Thireau 2020) et à se servir du label patrimonial pour défendre des pratiques religieuses et/ou des lieux rituels illégitimes aux yeux de l’État (Chau 2012 ; Trémon 2019). Enfin, nous étendons la notion d’arène pour en souligner la dimension spatiale, et l’appréhender suivant une anthropologie de l’espace du patrimoine et de l’habiter (Choay 2006). Quelles sont les territorialités de la fabrique du patrimoine, et à l’inverse, comme les territoires sont-ils (re)fabriqués à travers ces arènes ? Comment la dimension de la migration, interne ou internationale de la Chine, participe-t-elle de cette problématique ? La circulation des objets, des savoirs et des pratiques religieuses entre lieu de départ et lieu d’installation, la présence ou l’absence des migrants dans les villes natales, amènent-elles des nouveaux acteurs et de nouvelles perspectives dans ces arènes patrimoniales. ?