Depuis une vingtaine d’années, les publications et manifestations scientifiques consacrées aux conditions d’exercice de l’enquête de terrain en sciences sociales se multiplient. L’importance grandissante de cette littérature et de ces temps d’échanges collectifs témoigne des multiples enjeux, pressions et risques qui pèsent sur les pratiques de la recherche aux prises avec les transformations néolibérales du monde académique, l’intensification des conflits armés, la fermeture des frontières et les restrictions de libertés. S’il existe des positionnements hétéroclites vis-à-vis de ces évolutions, des expositions inégales aux problèmes qu’elles constituent et même des définitions variables des dits problèmes, la profession semble s’accorder sur un constat : il devient de plus en plus difficile de conduire des enquêtes face aux injonctions contradictoires.
Cette journée d’étude entend précisément interroger les implications et les conséquences que cette kyrielle de contraintes peut avoir à toutes les étapes du processus de production de connaissances, de la définition du sujet de la recherche à ses modalités de restitution en passant par la construction d’une méthodologie et la production d’un matériau. Elle réunit des anthropologues, sociologues, philosophes, historien·nes et politistes qui travaillent dans des zones géographiques diverses sur des sujets et des objets variés, mais qui ont en commun d’avoir fait l’expérience de ces difficultés et d’avoir déployé un plan d’action - réviser des intentions, ouvert des voies de passages, développer des stratégies - transformant ainsi la confrontation à ces obstacles en une occasion d’apprentissage.
La journée d'étude déroulera quatre axes thématiques. Un premier abordera l’encadrement institutionnel des enquêtes. Il y sera aussi bien question des modalités de financement des recherches que des procédures de départ, notamment de l’évaluation des risques auxquels ils sont soumis. Un deuxième se concentrera sur les pratiques d’enquête au sein de régime autoritaire et/ou sur des sujets/ou objets qualifiés de « sensibles ». Un troisième axe traitera des possibilités de déploiement d’une enquête dans des contextes de guerre. Enfin, un dernier axe sera consacré aux recompositions des pratiques d’enquête et aux méthodologies hybrides adoptées.
Le maintien voire l’intensification de la mise en place d’espace d'échanges autour de ces questions nous semble, si ce n’est relever d’une responsabilité collective, nécessaire à ce que nous puissions nous organiser. Il nous apparaît urgent de continuer à améliorer les dispositifs qui protègent les interlocuteurs·trices et les chercheur·es, mais aussi important d’amorcer un véritable dialogue avec l’ensemble des acteurs·trices, notamment institutionnels, impliqué·es dans la réalisation du travail de recherche sans pour autant que tout ce qui fonde la qualité des enquêtes en sciences sociales en pâtisse.
Programme
9h15 Introduction de la journée d’étude
9h15 - 10h45 1er panel - Procédure de départ, encadrement institutionnel de l'enquête et évaluations des risques par les instances de la recherche
Yoletty Bracho (Université d’Avignon - •JPEG) - La recherche comme diplomatie : réflexions sur le financement et la gestion des risques à partir du terrain vénézuélien
Vincent Geisser (IREMAM-CNRS, Aix Marseille Université) - Encadrer, protéger, surveiller : le rôle ambivalent des tutelles dans l’accompagnement des chercheurs sur les terrains « à risque »
Alina Surubaru (Université de Bordeaux - centre Émile Durkheim) - Choisir c’est renoncer ? Quelques leçons à propos de l’enquête sociologique en entreprise
10h45 - 12h15 2ème panel - Enquêter sur des sujets « sensibles », faire face à des régimes autoritaires
Françoise Daucé (EHESS - CERCEC) Enquêter auprès des "agents de l'étranger" : engagements et dilemmes en Russie autoritaire et au-delà
Özgür Sevgi Göral (Foundation Gerda Henkel, CETOBaC) Travail de terrain sur le conflit kurde dans un contexte sensible : éthique et positionnalité en période sombre
Nazli Temir Beyleryan (INALCO) - L’étude de terrain sur le conflit du Haut-Karabag en Turquie : un nouveau défi méthodologique et éthique
12h15 - 13h30 Déjeuner à la cafétéria du CETOBaC
13h30 - 15h00 3ème panel - Recomposition des pratiques d’enquête et méthodologies hybrides
Cloé Drieu (CNRS - Cespra) - Violences génocides, 'trauma' vicariant et pratiques d'intimidation : réflexions à partir d'une recherche à distance sur le Tribunal ouïghour (2021)
Cécile Boëx (EHESS - CéSor) - La recherche à distance sur le conflit en Syrie. Les potentialités et les limites d'un terrain audiovisuel et numérique
Chowra Makaremi (CNRS - IRIS) - Ethnographie "off-site" de l'Iran post-révolutionnaire
15h00 - 16h30 4ème Panel - Déployer l’enquête dans la guerre
Romain Huët (Université de Rennes 2 - PREFICS) - Observer l'effondrement du monde. L’enquêteur en prise aux états "astructurel". L'étude des guerres
Ioulia Shukan (EHESS-CERCEC) - Faire de la recherche en contexte de guerre russo-ukrainienne : (non)-accès au terrain, possibilités d’enquête et relations avec les collègues ukrainien.ne.s
Davide Grasso (Université de Turin - CPS) - Positionnalité, éthique de la recherche et valeur de vérité pendant l’enquête de terrain. Expériences en Syrie
16h30 - 17h00 Conclusion
Juliette Duclos-Valois (EHESS - CéSor/ANR IMAGIN-E) et Adnan Çelik (EHESS - CETOBaC)