Publié le 22 septembre 2020 Mis à jour le 29 juillet 2021

Philippe Descola (Collège de France)

Rendez-vous Condorcet donné le 12 avril 2021 dans le cadre du Cycle 2020-2021 « Mémoire, langues, territoires » des Rendez-vous Condorcet, et modéré par Barbara Cassin (CNRS).

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Envisagée dans une perspective interculturelle, la notion de territoire recouvre trois caractéristiques souvent négligées. D’abord, le fait qu’un même espace physique peut être utilisé comme territoire par différents collectifs humains et non humains, de même qu’un collectif peut utiliser différents espaces constituant un territoire en archipel. De ce fait, dans bien des régions du monde, un territoire correspond rarement à ce que l’on a pris l’habitude de concevoir sous ce terme depuis l’émergence du système westphalien, à savoir une portion d’espace sur laquelle un État exerce sa souveraineté et dont les limites stables sont reconnues par les États voisins. Ensuite, l’appropriation de la terre par un collectif n’est pas nécessairement la meilleure façon de concevoir la souveraineté sur un territoire puisque cette notion d’appropriation est le produit d’un système juridique et philosophique propre à l’Occident, étroitement liée à la théorie politique moderne telle qu’elle fut développée aux 17e et 18e siècles, notamment en Angleterre. Enfin, l’usage d’un territoire n’est pas sous l’emprise des seuls humains ; il est aussi dépendant d’une foule de non-humains semblant manifester une puissance d’agir autonome – divinités, esprits, génies, ancêtres, fantômes, plantes, animaux, météores – avec lesquels les humains doivent composer ou dont ils dépendent.